jeudi 15 février 2007

Tricentenaire de Vauban






Gros sujet, petit article. Entre la Môme et Taxi IV, une place un peu plus importante pourrait être faite à l'une de nos plus grandes gloires militaires.

On a sacrifié Vauban à Piaf, je ne sais pas si c'est bien judicieux, mais passons.

Alors, pour ceux qui ne connaîtraient pas notre grand poliorcète national, voici quelques brefs éléments biographiques.

Sébastien le Prestre de Vauban naît en 1633, d'une famille de petite noblesse (voire pas noble du tout, mais peu importe).

Le XVII° siècle étant fécond en guerres en tous genres, le génie de Vauban va rapidement pouvoir éclater au grand jour.

Engagé très jeune dans les armées de Condé, qui combattent à l'époque, faut-il le préciser les troupes royales, il est capturé en 1653. Il en profite pour passer au service de Mazarin, qui sait, et c'est heureux, pardonner quand il le faut.

Il est nommé ingénieur du roi en 1658, après avoir déjà recueilli quelques blessures, dont, si mes souvenirs sont bons, celle à la joue qu'il arborera fièrement tout au long de sa vie.

Vauban ne tarde pas à faire preuve d'une activité débordante et à supplanter son rival d'alors, le chevalier de Clerville, assez injustement oublié d'ailleurs.

Après le rachat de Dunkerque, il est tout naturellement chargé de construire les fortifications de cette importante cité corsaire.


Plan des fortifications de Dunkerque.

Ses ouvrages prouveront amplement leur invulnérabilité lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Dirigée de main de maître par Jean Bart (qui dirigeait le feu de son fort avec son fils Cornil) et Marc-Antoine de Saint-Pol Hécourt (qui repoussait les brulôts et frégates anglais de sa chaloupe), la défense fait plier par deux fois les Anglais.
On se souviendra du mémorable siège de 1696, dirigé par Shovel, et immortalisé par une grande fresque en faïence bleue, encore visible à Dunkerque, au cours duquel les Anglais n'ont pu détruire aucun ouvrage militaire.

A noter qu'ils se souviendront de cet affront et que la cité corsaire paiera un lourd tribut lors de la paix d'Utrecht de 1713, puisque les fortifications seront démantelées.

Mais revenons à Vauban (désolé, je suis fatigué, je viens de me farcir un fastidieux cours de plaidoirie). Il brille encore lors de la guerre de Hollande, au cours de laquelle il s'empare de Maastricht en treize jours, un record. Lors de ce siège, il inaugure les parallèles d'attaque, dont feront usage par la suite toutes les armées d'Europe.

Brigadier général en 1674, il est nommé commissaire général des fortifications en 1678. Il peut enfin réaliser son rêve, doter la France de la fameuse "ceinture de fer". L'objectif est d'éviter que l'ennemi, comme celà fut trop souvent le cas, surtout lors du siècle de conflit avec les Habsbourg, ne puisse pénétrer au coeur de la France et y faire des ravages.

Ses attentions se portent surtout sur le Nord (Neuf-Brisach est un modèle du genre), mais il ne néglige pas le sud pour autant. Il sait remarquablement tirer parti du relief, choisit les emplacements à merveille, réalisant par là même d'importantes économies. Certaines de ses fortification érigées dans les Pyrénées sont un modèle du genre.




Fortifications de Saint-Martin de Ré.


Son incessante activité lui fait parcourir des milliers de kilomètres tous les ans, à une époque où les déplacements sont encore difficiles (les postes et relais, dont l'organisation un tant soit peu moderne date du règne d'Henri IV, en sont à leur balbutiements). Lui qui est toujours resté proche de la terre et des petites gens, touche du doigt leurs difficultés quotidiennes, et leurs très médiocres conditions de vie. Mais on y reviendra.

Avare de la vie de ses hommes, il invente toutes sortes de choses, de la baïonnette à douille au boulet creux, en passant par les feux croisés et le tir à ricochet.

La rude guerre de Succession d'Espagne, dont il ne verra pas le dénouement, lui démontre que ses forteresses ne sont pas imprenables, loin s'en faut : Landau est prise plusieurs fois.

Son oeuvre est cependant exceptionnelle, puisque ses ouvrages ont permis à la France de demeurer inviolable pendant plus d'un siècle.

Couvert d'honneurs sur le tard (il ne sera fait maréchal qu'en 1703), Vauban fait preuve d'une étonnante franchise et quoique fier de lui (mais pourquoi ne le serait-il pas), sait faire preuve de modération.

Il se mêle de tout et de n'importe quoi, surtout de ce qui ne le regarde pas. Aucune intention malicieuse là dedans, mais seulement esprit curieux qui cherche au mieux à servir son pays.

Son "cochonnerie, ou calcul estimatif pour connaître jusqu'où peut aller la production d'une truie pendant dix années de temps", est très intéressant à cet égard : il cherche à y démontrer, calculs (pas toujours exacts) à l'appui, que les Français peuvent parvenir rapidement à l'autosuffisance alimentaire en élevant chacun une truie.

Il inonde Louis XIV de mémoires en tous genres, lui reprochant par exemple la révocation de l'Edit de Nantes, pas forcément par solidarité avec les Réformés d'ailleurs ; en bon pragmatique, il se rend compte que Louis XIV perd là certains de ses plus forts soutiens, et qu'il se créée une réputation détestable auprès des pays protestants, dont certains sont les alliés réguliers de la France depuis Henri IV.

Bien que Louis XIV lui passe tout, parce qu'il est bien conscient qu'en ces temps difficiles, il a besoin de cet homme unique, il frappe fort et finit par tomber dans une demi-disgrâce.

Mais qu'importe, il en faut plus pour le décourager, et il envoie mémoire sur mémoire à la Cour, initiative diversement appréciée.

Son "projet de dîme royale" est resté célèbre. Soulignons d'emblée qu'il n'y a rien de nouveau là-dedans, Saint-Louis ayant déjà créé un impôt similaire pour financer les croisades.

L'idée est de frapper tous les Français d'une manière égale, qu'ils soient privilégiés ou non. Le livre est interdit. Louis XIV essaiera pourtant, sans succès, de mettre en place un impôt du même genre, ce dès 1695. Au passage, on soulignera que la division de la société en différentes classes permet de jeter à bas l'idée qui voudrait que la société d'Ancien Régime était divisée de façon rigide en trois ordres : la robe passe ici avant l'épée, le bourgeois avant l'ecclésiastique (si j'ai le courage, je ferai un petit exposé là-dessus).

Vauban finit par se décider à mourir en 1707, après avoir vécu plusieurs vies bien remplies.
Son mythe ne tarde pas à être récupéré par la Révolution, qui voit en lui le promoteur des frontières naturelles et du sacro-saint principe d'égalité. Deux principes à tempérer fortement.

Vauban n'a jamais parlé de ces fameuses frontières naturelles, qui ont justifié la politique d'annexion de la France révolutionnaire. Il a seulement tenté de doter la France de frontières défendables et cohérentes.

Pour l'égalité, il faudra aussi repasser. Vauban est un homme de son temps, il ne faut pas lui en demander plus qu'il ne peut (avis à certains qui récupèrent de manière stupidement anachronique certains grands hommes). Il n'est pas de ceux qui crachent dans la soupe, et sait tirer profit, même s'il n'en abuse pas à la manière d'un Maurice de Saxe, de sa situation.

Faut-il préciser que nous fêtons le tricentenaire de l'un des hommes les plus géniaux de toute notre histoire militaire ? Il a cumulé les records, et reste le seul ingénieur fait maréchal. Je ne cache donc pas mon admiration pour ce personnage attachant, qu'on pourrait fêter un peu plus.

A ceux qui voudraient en savoir un peu plus, je signalerai deux ouvrages. Le Vauban d'Anne Blanchard, publié chez Fayard, est fortement recommandé. Puissamment documenté, il est à la fois complet et vivant.

Pour ceux qui aiment les belles illustrations, je recommande fortement le beau livre de François Hanscotte (que j'ai l'honneur de pouvoir compter parmi mes relations privilégiées, si !), Vauban et le Nord, la ceinture de fer, publié aux éditions les Patrimoines (enfin je crois). Non seulement les illustrations sont au rendez-vous, mais en plus on vous gratifie d'un beau texte.

Enfin, regardez la revue l'Histoire, qui, sous la plume de l'excellent Joël Cornette, publie tous les mois un petit feuilleton consacré à Vauban.

Aucun commentaire: